Et une fois que nous sommes le maître du silence, nous
sommes nécessairement le maître du monde mental parce que, au lieu d’être
sempiternellement cramponné à la même longueur d’onde, nous pouvons parcourir
toute la gamme des ondes et choisir ou rejeter ce qui nous plaît.
Mais laissons Sri Aurobindo nous décrire lui-même l’expérience telle
qu’il l’a faite la première fois avec un autre yogi, du nom de Bhaskar Lélé,
qui passa trois jours avec lui :
Sri Aurobindo -
Mai 1908
Tous les êtres mentaux développés, du moins ceux qui
dépassent la moyenne, doivent, d’une façon ou d’une autre, à certains moments
de l’existence et dans certains buts, séparer les deux parties de leur mental :
la partie active, qui est une usine de pensées, et la partie réservée,
maîtresse, à la fois Témoin et Volonté, qui observe, juge, rejette, élimine ou
accepte les pensées, ordonnant les corrections et les changements nécessaires ;
c’est le Maître de la maison mentale, capable d’indépendance. Mais le yogi va
encore plus loin ; il est non seulement le maître du mental, mais, tout en
étant dans le mental, il en sort pour ainsi dire, et il se tient au-dessus ou
tout à fait en arrière, libre. Pour lui, l’image de l’usine de pensées n’est
plus valable, car il voit que les pensées viennent du dehors, du Mental
universel ou de la Nature universelle, parfois formées et distinctes, parfois
sans forme, puis elles reçoivent une forme quelque part en nous.
Le travail principal de notre mental est de répondre et
d’accepter ou de refuser ces ondes de pensée (de même pour les ondes vitales et
les ondes d’énergie physique subtile), ou de donner une forme mentale
personnelle à cette substance mentale (ou aux mouvements vitaux) venus de la
Nature-Force environnante.
J’ai une grande dette envers Lélé pour m’avoir montré ce
mécanisme : «Asseyez-vous en méditation, me dit-il, mais ne pensez pas,
regardez seulement votre mental ; vous verrez les pensées entrer dedans. Avant
qu’elles ne puissent entrer, rejetez-les, et continuez jusqu’à ce que votre
mental soit capable de silence complet.»
Je n’avais jamais entendu dire avant, que les pensées
puissent venir visiblement du dehors dans le mental, mais je ne songeai pas à
mettre en doute cette vérité ou cette possibilité ; simplement, je m’assis et
fis comme il m’était dit. En un instant, mon mental devint silencieux comme
l’air sans un souffle au sommet d’une haute montagne, puis je vis une, deux
pensées venir d’une façon tout à fait concrète, du dehors. Je les rejetai avant
qu’elles ne puissent entrer et s’imposer à mon cerveau. En trois jours, j’étais
libre.
À partir de ce moment, l’être mental en moi devint une
Intelligence libre, un Mental universel. Ce n’était plus un être limité au
cercle étroit des pensées personnelles, comme un ouvrier dans une usine de
pensées, mais un récepteur de connaissance qui recevait des cents royaumes de
l’être, libre de choisir ce qu’il voulait dans ce vaste empire de vision et ce
vaste empire de pensée.
Bhaskar Lélé
Parti d’une petite construction mentale où il se croyait à
l’aise et très éclairé, le chercheur regarde derrière lui et il se demande
comment il a pu vivre dans pareille prison. Il est frappé surtout de voir
comment pendant des années et des années il a vécu entouré d’impossibilités, et
comme les hommes vivent derrière des barrières : «On ne peut pas faire ceci, on
ne peut pas faire cela, c’est contraire à telle loi, contraire à telle autre,
c’est illogique, ce n’est pas naturel, c’est impossible…» Et il découvre que
tout est possible, et que la vraie difficulté est de croire que c’est
difficile. Après avoir vécu vingt ans, trente ans dans sa coquille mentale,
comme une sorte de bigorneau pensant, il commence à respirer au large.
Satprem dans son livre Sri Aurobindo ou l'Aventure de la
Conscience
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