lundi 29 avril 2019

En trois jours, j’étais libre



Et une fois que nous sommes le maître du silence, nous sommes nécessairement le maître du monde mental parce que, au lieu d’être sempiternellement cramponné à la même longueur d’onde, nous pouvons parcourir toute la gamme des ondes et choisir ou rejeter ce qui nous plaît.

Mais laissons Sri Aurobindo nous décrire lui-même l’expérience telle qu’il l’a faite la première fois avec un autre yogi, du nom de Bhaskar Lélé, qui passa trois jours avec lui : 


Sri Aurobindo - Mai 1908
Tous les êtres mentaux développés, du moins ceux qui dépassent la moyenne, doivent, d’une façon ou d’une autre, à certains moments de l’existence et dans certains buts, séparer les deux parties de leur mental : la partie active, qui est une usine de pensées, et la partie réservée, maîtresse, à la fois Témoin et Volonté, qui observe, juge, rejette, élimine ou accepte les pensées, ordonnant les corrections et les changements nécessaires ; c’est le Maître de la maison mentale, capable d’indépendance. Mais le yogi va encore plus loin ; il est non seulement le maître du mental, mais, tout en étant dans le mental, il en sort pour ainsi dire, et il se tient au-dessus ou tout à fait en arrière, libre. Pour lui, l’image de l’usine de pensées n’est plus valable, car il voit que les pensées viennent du dehors, du Mental universel ou de la Nature universelle, parfois formées et distinctes, parfois sans forme, puis elles reçoivent une forme quelque part en nous.
Le travail principal de notre mental est de répondre et d’accepter ou de refuser ces ondes de pensée (de même pour les ondes vitales et les ondes d’énergie physique subtile), ou de donner une forme mentale personnelle à cette substance mentale (ou aux mouvements vitaux) venus de la Nature-Force environnante.
J’ai une grande dette envers Lélé pour m’avoir montré ce mécanisme : «Asseyez-vous en méditation, me dit-il, mais ne pensez pas, regardez seulement votre mental ; vous verrez les pensées entrer dedans. Avant qu’elles ne puissent entrer, rejetez-les, et continuez jusqu’à ce que votre mental soit capable de silence complet.»
Je n’avais jamais entendu dire avant, que les pensées puissent venir visiblement du dehors dans le mental, mais je ne songeai pas à mettre en doute cette vérité ou cette possibilité ; simplement, je m’assis et fis comme il m’était dit. En un instant, mon mental devint silencieux comme l’air sans un souffle au sommet d’une haute montagne, puis je vis une, deux pensées venir d’une façon tout à fait concrète, du dehors. Je les rejetai avant qu’elles ne puissent entrer et s’imposer à mon cerveau. En trois jours, j’étais libre.
À partir de ce moment, l’être mental en moi devint une Intelligence libre, un Mental universel. Ce n’était plus un être limité au cercle étroit des pensées personnelles, comme un ouvrier dans une usine de pensées, mais un récepteur de connaissance qui recevait des cents royaumes de l’être, libre de choisir ce qu’il voulait dans ce vaste empire de vision et ce vaste empire de pensée.


Bhaskar Lélé

Parti d’une petite construction mentale où il se croyait à l’aise et très éclairé, le chercheur regarde derrière lui et il se demande comment il a pu vivre dans pareille prison. Il est frappé surtout de voir comment pendant des années et des années il a vécu entouré d’impossibilités, et comme les hommes vivent derrière des barrières : «On ne peut pas faire ceci, on ne peut pas faire cela, c’est contraire à telle loi, contraire à telle autre, c’est illogique, ce n’est pas naturel, c’est impossible…» Et il découvre que tout est possible, et que la vraie difficulté est de croire que c’est difficile. Après avoir vécu vingt ans, trente ans dans sa coquille mentale, comme une sorte de bigorneau pensant, il commence à respirer au large.

Satprem dans son livre Sri Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience

Aucun commentaire: