Pratiquement, le travail se fait à travers chacune de nos
difficultés psychologiques, symboliques de la même difficulté à travers le
monde... si l'on touche une vibration donnée dans un individu, c'est la même
vibration qui est touchée dans le monde entier.
"Chacun de vous, dit la Mère, représente une des
difficultés qui'l faut vaincre pour la transformation... et cela fait beaucoup
de difficultés ! C'est même plus qu'une difficulté ; je crois vous avoir dit
autrefois que chacun représente une impossibilité à résoudre ; et quand toutes
ces impossibilités seront résolues, l'Oeuvre sera accomplie." Chaque
individu, nous le savons, a une ombre qui le talonne et semble contredire le
but de sa vie.
C'est la vibration particulière qu'il doit transformer, son champ
de travail, son point impossible. C'est à la fois le défi de sa vie et la
victoire de sa vie. C'est sa part de progrès dans l'évolution collective de la
terre. Mais un phénomène particulier se produit dans notre laboratoire : dans
la vie ordinaire ou dans un yoga individuel, cette ombre est plus ou moins
latente, plus ou moins gênante et elle finit par se dissoudre ou, plutôt, par
s'enfoncer dans une oubliette ; mais dès que l'on se met à un yoga terrestre,
on s'aperçoit qu'elle ne s'enfonce pas du tout ; elle sort et ressort avec une
virulence infatigable, comme si la bataille n'était jamais gagnée... comme si,
en vérité on faisait la bataille sur ce point vibratoire particulier pour la
terre entière ; il semblerait que le chercheur soit devenu le lieu d'une
bataille spéciale, aiguë, symbolique de la même bataille, plus ou moins larvée,
sur le même point d'ombre, dans le reste des individus humains. "Vous ne
faîtes plus votre yoga pour vous seul, vous faîtes le yoga pour tout le monde,
sans le vouloir, automatiquement." Et le chercheur vérifie in vivo le
principe de l'unité substantielle du monde : si l'on se mêle de redresser une
seule vibration en soi, ce sont des myriades de petites vibrations frères, ou
soeurs, qui résistent à travers le monde.
C'est ce que Sri Aurobindo appelle un
"yoga pour la conscience terrestre"; (On Himself) "Parce qu'il
accepte la vie, le chercheur du yoga intégral doit porter non seulement son
propre fardeau, mais en même temps une grande partie du fardeau du monde, qui
vient s'ajouter à sa charge déjà suffisamment lourde. Par suite, son yoga bien
plus que les autres ressemble à une bataille ; et ce n'est pas seulement une
bataille individuelle, c'est une guerre collective livrée sur un pays immense.
Il ne suffit pas qu'il conquière en lui-même les forces égoïste du mensonge et
du désordre, il faut encore qu'il les vainque comme les représentants des mêmes
forces adverses inépuisables dans le monde. Ce caractère représentatif leur
donne une capacité de résistance bien plus obstinée, un droit de récurrence
presque sans fin. Souvent donc, le chercheur s'apercevra que même après avoir
gagné avec persistance sa bataille personnelle, il devra la gagner encore et
encore dans une guerre qui semble interminable, parce que son existence intérieure
est déjà si élargie que non seulement elle contient son propre être avec ses
expériences et ses besoins bien définis, mais qu'elle est solidaire aussi de
l'être des autres ; car en lui-même il porte l'univers.(La Synthèse des Yoga).
Satprem ~ "Sri Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience" chap XVII ~ La Transformation ~